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Jours envolés au jardin d'été, Xavier Gardette, La Chambre d'échos

 

 

 

 

Jours envolés au jardin d'été

Xavier Gardette

La Chambre d'échos

104 pages

20/02/2024

16 €

 

 

 

 

Un excellent jardinier vaut un excellent poète.

Alphonse Karr, Voyage autour de mon jardin

 

Un jardin n’est pas un ensemble harmonieux d’espèces végétales et de constructions minérales. C’est une source inépuisable d’énigmes pour un homme ordinaire. Comme l’élégant rappel de son ignorance.

 

Avant toute chose, j’aimerais faire l’éloge de ces livres qui, en une centaine de pages à peine, invitent à être lus d’un trait, mais sans hâte, pour être relus presque aussitôt refermés, de ces livres qui cultivent avec bonheur l’art de suggérer beaucoup avec peu et à mots choisis. 

 

La même réalité ne se perçoit jamais deux fois sous le même jour, tel un livre qu’on relit et qu’on découvre neuf.

Loin de m’accabler, cela me réjouit : le jardin sera comme ce livre relu et révélé. Je n’en finirai jamais de découvrir ce que je connais déjà.

 

Jours envolés au jardin d’été ­— quel titre merveilleux ! — de Xavier Gardette, paru en février aux éditions La Chambre d’échos, est un tout petit volume inracontable parce qu’il est une surprenante alchimie de forces élémentaires. Un récit un rien suranné, un journal méditatif dans la forme – il s’ouvre le 1er juin pour se refermer le 14 juillet – dans lequel le narrateur-jardinier consigne, en quelques mots ou en de longues phrases, au jour le jour, les gestes du quotidien, ceux qui occupent la main autant que l’esprit, ceux qui préfèrent la lenteur du sécateur et de la brouette au vrombissement du taille-haie et de la tondeuse, ceux qui hésitent entre bouleversement définitif et altération provisoire. Car jardiner est une affaire de choix. Ne dit-on pas qu’arranger son jardin, c’est aussi arranger ses jours selon son cœur ?

 

Juste semer quelques graines, et les abandonner au temps. Surtout ne rien précipiter. Se contenter du moindre signe. Devenir allié du silence, ami des jours perdus.

Philippe Delerm, Patience

 

S’y avoue à demi-mot un goût pour le silence et la solitude délibérée que vient divertir de sa seule présence le petit peuple du jardin : les tourterelles turques et leur nid mikado ; les escargots rivalisant de voracité avec les limaces ; les grillons chanteurs ; les oiseaux et leurs trilles ; les gendarmes occupés à dépecer le cadavre d’une guêpe ; les abeilles ivres des fleurs de l’ampelopsis ; l’araignée sentinelle au centre de sa toile ; les auxiliaires bienvenus et les fatals parasites que notre jardinier combat bien mollement.

 

Le jardin est un espace habité où redécouvrir la simplicité, un lieu prodigue en beautés d’autant plus prodigieuses qu’elles sont presque imperceptibles. Le jardinier, et nous avec lui, y grappille des éclats minuscules d’été : l’ombre épaisse du noyer et celle parfumée du figuier ; les trompettes orangées de la bignone ; les grappes riches en nectar de l’arbre aux papillons et les corolles bleutées de la verveine ; la dentelle fragile des exubérantes nigelles qui se ressèment à l’envi ; la promesse gourmande des premières cerises si tant est que les oiseaux goulus veuillent bien consentir à en oublier quelques-unes pour le jardinier ; les pluies d’orage bienfaisantes qui désaltèrent le jardin ; le linge mis à sécher sur la corde suspendue à la fortune de deux arbres ; la lumière oubliée sous la marquise ébouriffée de vigne vierge, qui prolonge jusqu’au petit matin sa veillée nocturne.

 

Ce monde en soi est aussi un lieu de dilemmes — fallait-il tronçonner le chêne et combler le puits ? — et d’énigmes, tel ce jeune figuier venu s’inviter à côté du vieux noisetier, et que le jardinier répugne à transplanter.

 

On ne connaît jamais par cœur un jardin, tant ce petit éden est mouvant, plastique et toujours dissemblable à lui-même.

 

Le jardin est un lieu de réussites enthousiasmantes autant que d’expériences avortées et de déconvenues obscures et le jardinage, une école de patience autant que d’humilité. 

 

Ce matin, comme les jours précédents, à l’endroit des fleurs espérées je constate le néant. […] Sur ce bon terreau répandu, rien n’est venu. Pas même un brin d’autre chose.

 

Ce petit livre est une manière d’autoportrait qui ne dirait pas son nom — montre-moi ton jardin et je saurai qui tu es et quel est ton jardin secret — et l’on se prend à faire corps avec les perceptions de cet homme simple, à se réjouir avec lui des trouvailles instantanées du jour sur lesquelles la veille son regard avait glissé et auxquelles son oreille était restée étrangement sourde.

 

On ne s’ennuie jamais dans un jardin, pourvu qu’on s’attache aux détails, aux détails des détails, et ainsi de suite […] ­— alors les songeries vagabondent.

 

Les jours d’été s’envolent, aériens, qui rappellent ces feuillets d’éphéméride que l’on détache et dont le papier pelure, transparent, ne pèse presque rien. Un temps à part, une harmonie bienfaisante, des instants de rêveries ponctués d’actions très concrètes, un moment d’écoute et d’ajustement dans sa relation avec la nature alentour où les trois règnes s’accordent, un dialogue ininterrompu avec la terre, la recherche d’un art de vivre dans un jardin-écrin planté non sans humour en pleine diagonale du vide, un monde fragile qui pourtant protège, et dont le calme rassurant est à peine perturbé par les cris des enfants venus se rafraîchir à la rivière toute proche.

 

La poésie, comme le jardinage, permettent non pas de survivre, mais de rester vivant.

Marco Martella, Un petit monde, un monde parfait

꧁ Paul Cézanne, Le Jardinier Vallier, c. 1906 ꧂
꧁ Paul Cézanne, Le Jardinier Vallier, c. 1906 ꧂

 

C’est peut-être pour cela que le récit accueille à intervalles des citations de poètes et d’écrivains ­­­— Émile Verhaeren, La Fontaine, Paul-Jean Toulet, Valéry, Colette, Stendhal, Hugo, Proust, Hesse… — et l’évocation de quelques peintures dont Le Jardinier Vallier de Cézanne. La poésie fait intrinsèquement partie du jardin, espace poétique et malléable par excellence, un monde de métamorphoses, le lieu de retour vers l’essentiel qui suit le rythme des saisons et de leurs jeux d’ombre et de lumière, un microcosme dans lequel le jardinier sait trouver sa place. Le jardin est en outre une mémoire enracinant souvent les générations d’une même famille, le jardinier accompagnant des vies qui, pour certaines, lui survivront.

 

En réalité, sur l’empan de deux siècles, le jardin n’a cessé d’être ce qu’il est, à la fois jardin potager, jardin fruitier et jardin de plaisir. Ce sont les proportions qui changent.

 

Pages contemplatives d’un jardinier en son domaine entre ciel et terre, Jours envolés au jardin d’été s’adresse à tous, amoureux des jardins ou non, et en particulier à ceux qui se réjouissent de ressentir la plénitude des émotions premières et y trouvent encore des raisons de vivre heureux.

 

Je remercie Babelio et les éditions La Chambre d'échos pour cet envoi et leur confiance.


꧁ Illustration ⩫ Georges Seurat, Le Jardinier, c. 1882 ꧂


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