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Mon petit, Nadège Érika, Livres Agités

 

 

  

Mon petit

Nadège Érika

Livres Agités

280 pages

24/08/2023

20,50 €

Premier roman

HarperCollins Poche, 21/08/2024

Je n’ai jamais parlé d’autre chose que de moi.

Alain Robbe-Grillet, Le miroir qui revient

 

Certains vivent au bord de la mer, d'autres au bord d'une rivière, d'autres, moins chanceux, vivent au bord d'une route ; je vis au bord des larmes.

 

Nadège Érika a choisi d’écrire son premier roman sous pseudonyme, comme beaucoup de primo-romanciers qui éprouvent le besoin de rebattre les lettres de leur nom, de remplacer leur « je » par un autre, tout en restant dans le domaine de l’intime dont ce « je » se veut le garant.

 

Comme le serait une autobiographie, Mon petit est une narration rétrospective où l’adulte que la narratrice est devenue revient sur l’enfant qu’elle était, juxtaposant les perspectives dans un style à la fois vif et simple, recomposant la géographie du quartier de l’enfance, Belleville, la rue des Pyrénées, la rue Piat et l’immeuble sis au 40. 

 

Belleville, ça reste chez moi. Belleville, c’est à moi. Je pourrais me coucher là, par terre, et ne plus en bouger.

 

Le nom en couverture a beau avoir été changé, le lecteur n’est pas dupe. À travers le personnage de Naëlle phonétiquement si proche, Nadège Érika ne parle pas d’autre chose que d’elle dans cette vie dont on ne sait si elle est ne serait-ce que romancée/fictionnalisée. Inutile d’aller fouiller pour démêler le vrai du faux parce que de tels récits sont moins intéressants pour le lecteur que pour celui/celle qui écrit, s’y découvre et s’y (re)construit. Mon petit est un écrit cathartique — encore un — dans lequel Nadège Érika se dissèque pour mieux se recomposer,

 

J’écris pour emballer mes tourments dans un corps de papier et mettre des mots sur une histoire qui en a manqué.

 

en donnant la parole à cette autre qu’elle, à Naëlle Muet (on appréciera au passage la potentialité signifiante du choix onomastique au regard de l’histoire), enfant de Belleville, grandie dans une famille de silences et de non-dits. Fa(m)ille - Famille/faille : une lettre vous manque...

 

Dans une première partie, les souvenirs reviennent sous forme de vignettes dont le puzzle raconte le quartier avant sa gentrification, le passé entre tourments et douceurs, les semaines que Naëlle, son frère aîné Raphaël et ses jeunes sœurs Gaby et Georgia,

 

quatre mômes de quatre couleurs et quatre pères différents

 

partageaient entre l’appartement de leur mère Jeanne Porte de Montreuil et celui de Grand-Maman à Belleville, deux pôles d’une même boussole. Naëlle raconte d’une part les visites d’huissiers, l’électricité et le téléphone coupés à cause de factures impayées, les repas biscottes/Banania devant un frigo désespérément vide ou privé de courant, la crainte de la visite des services de la DDASS et, d’autre part, la vie certes modeste mais plus calme et ordonnée dans l’appartement de leur grand-mère bien à la peine quand il s’agit de comprendre sa fille et ses choix de vie, mais soucieuse d’apporter un peu de normalité à ses petits-enfants.

 

On se rend vite compte que le Belleville de Naëlle est un monde de femmes ; un monde de famille asymétrique, les pères étant, tous sans exception, aux abonnés absents ; un monde de violence ordinaire, de vols à l’étalage, de fugue, de scolarité chaotique. Un monde de modèles qu’il est à la fois périlleux de reproduire et difficile de ne pas reproduire ; Naëlle tombera enceinte très jeune, comme sa mère avant elle ; elle aura des jumeaux avec Gustave, père plus ou moins concerné selon les jours par la vie de son foyer.

 

À sa moitié, le roman prend un tour différent qui cueille le lecteur. L’écriture, jusque-là pleine d’allant et d’humour, volontiers irrévérencieuse devient l’expression de la douleur violente d’une jeune femme vivant désormais au bord des larmesincapable de mettre autrement qu’en cri des mots sur le drame, drame qu’il m’est impossible de dévoiler.

 

J’étais sidérée, j'ignorais encore à quel point j'allais mourir de cela ma vie entière.

 

Si je me suis volontiers laissé embarquer par la première partie, par la chronique douce-amère du monde à jamais révolu de l’enfance que l’on aimerait retenir, par l’évocation aimante d’un quartier que l’on apprend, nous lecteurs, à connaître au gré des va-et-vient de Naëlle, j’ai peiné à apprécier la seconde, quand il s’est agi pour elle de traduire l’intraduisible, la fracture intime, le manque, l’absence, le trou, la béance, le gouffre ouvert sous ses pieds. Je sais combien cela peut être choquant de n’être pas bouleversée par ce qu’a vécu Naëlle/Nadège, mais je crois n’être tout simplement pas la lectrice-cible de ces romans(?)-là.

Pourquoi ?

Parce que je suis lasse du règne de Narcisse, de l’ambiguïté que cultivent ces récits autobiographiques qui répugnent à dire ce qu’ils sont vraiment et ne s’assument pas. C’est moi et ce n’est pas moi semblent dire ces auteurs égocentriques au sens strict – ego moi centrum centre – dont le je remplace le il, mais n’osent pas aller jusqu’à dire je suis je et trompent allègrement le lecteur en faisant mine de fonder avec lui un pacte romanesque qui, de fait, n’existe pas.

Faut-il en passer fatalement par là pour gagner un statut littéraire en 2024 ?

 


꧁ Illustration ⩫ Serge Belloni, La rue Piat, 1960 ꧂


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