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Un miracle, Victoria Mas, Albin Michel

 

 

 

Un miracle

Victoria Mas

Albin Michel

224 pages

17/08/2022

19,90 €

Deuxième roman

Le Livre de Poche, 31/01/2024

Le miracle est l’enfant chéri de la foi.

Johann Wolfgang von Goethe

Dès lors qu'on ne doute plus... c'est là que surviennent les miracles.

 

Avec Un miracle, Victoria Mas revient à l’écriture après Le Bal des folles qui à l’automne 2019 ne m’avait qu’à demi convaincue en dépit de son succès retentissant et son adaptation à l’écran par Mélanie Laurent. En ne me joignant pas au concert de louanges, je m’étais dit que je n’avais peut-être pas su voir ce que tous voyaient, que je me montrais bien tatillonne et peu indulgente pour ce qui était un premier roman. Au vrai, si ce deuxième roman n’avait pas intégré la sélection 2023 des 68 premières foisje ne me serais pas fait une priorité de le lire.

 

Paris, rue du Bac. La nuit de ce 18 juillet 1830 est bleutée et le couvent des Filles de la charité dort encore quand Sœur Catherine Labouré va par les couloirs à la suite d’un enfant de lumière venu la réveiller.

 

— Levez-vous et venez à la chapelle, la Sainte Vierge vous attend.

 

Paris, rue du Bac. De nos jours. Sœur Anne est entrée au couvent des Filles de la charité comme elle entrait dans l’adolescence. Elle est venue là trouver en la Vierge ce que ses deux parents lui avaient refusé, à savoir une présence, mais aussi et surtout la chasteté. Quand Sœur Rose, plus âgée, reçoit une prophétie qui lui annonce une apparition mariale en Bretagne, Sœur Anne se fait une joie d’aller en mission à Roscoff auprès de Sœur Delphine et de Père Erwann.

 

Un rêve m’est venu cette nuit. La Sainte Vierge t’apparaîtra en Bretagne. Je l’ai vue aussi nettement que je te vois maintenant.

 

Tout le roman est nimbé d’une coloration qui hésite, mi mystique, mi religieuse. En choisissant la Bretagne et plus précisément l’île de Batz, commune insulaire située à un quart d’heure de bateau de Roscoff dans le nord du Finistère,

 

Au loin, Roscoff se dessinait sur la côte voisine, cette côte que les habitants de l’île appelaient la France, le continent, ce pays étranger qu’ils observaient de loin avec le soulagement ému de ne pas y vivre.

 

Victoria Mas ancre son récit dans une terre étrange, veinée de chemins de ronde et de sentes sur lesquels les nuages se penchent et la pluie galope, bordée de rivages blancs râpés par des vents irascibles, hérissée de landes et de rochers où se tapissent sortilèges, légendes et mystères. La Bretagne toujours changeante, toujours renouvelée, avec

 

Le ciel crachant sa pluie fine. La côte délavée de couleurs, sa grève incolore, ses cyprès noirs, calcinés, ses terres brunes et tachetées. Partout, le gris, la brume, la bruine, tout semblant mourir.

 

mais aussi

 

la teinte du matin, un bleu apaisé désormais, l’absence de nuages, la hauteur de la marée, instinctivement, dans ce réflexe qu’avaient les habitants de la côte de s’attarder à la lecture de l’aube.

 

est le lieu où l’imaginaire et le réel se côtoient et parfois se confondent. Là vivent des Bretons qui ont encore un sens aigu du sacré, [qui] ne défient pas la nature, [mais] lui obéissent. Là vit, entre terre, mer et ciel, une petite communauté que j’ai eu la surprise de découvrir paradoxalement peu soudée. Il y a Madenn qui tient le bar restaurant ; Hugo, l’adolescent passionné d’astronomie méprisé par un père à la ferveur catholique suspecte, qu’il ne comprend pas ;

 

Hugo fixa ce profil inflexible comme s'il lui était étranger, comme s'il lui fallait encore se convaincre qu'il descendait bien de cet homme.

 

Julia, sa soeur souffreteuse car asthmatique ; Isaac, adolescent lui aussi, qui ne se remet pas de la mort prématurée de sa mère et parcourt la lande par tous les temps sous l’œil protecteur de Madenn. Isaac, que l’Ancien Testament appelle l’Enfant du miracle, est bien celui par qui un miracle va se produire sur l’île, au grand dam de Sœur Anne qui croyait être l’élue.

 

Un miracle n’échappe hélas ni aux images stéréotypées ni aux lieux communs. Tous les personnages sont artificiels, réduits à quelques traits simplistes et figés. Enfermés dans une seule dimension, ils ont peu d’interactivités, comme s’ils avaient été posés là, au fil de l’écriture, sans qu’aucune préparation n’ait été pensée en amont pour tisser leurs liens et les faire habiter l’histoire. En outre, si la carte postale bretonne est belle sous ses ciels chiffonnés à la Boudin, elle reste une image de papier glacé, usée d’avoir été souvent vue.

 

Non, là où est l’intérêt, c’est dans ce que le roman dit de la relation que chacun entretient avec le ciel. Si tous lèvent les yeux vers lui, chacun a ses raisons de le faire, qu’on le regarde en scientifique comme Hugo avec sa lunette astronomique,

 

C'est cette poésie, celle de l'infiniment grand, qui lui avait parlé. L'expansion de l'Univers plutôt que la Genèse. La science et ses exploits plutôt que les miracles du Fils. La mort des étoiles, plus fascinante encore que la vie des saints.

 

ou parce qu’on a été illuminé par une vision comme Isaac, ou parce qu’on espère y trouver une réponse qui se dérobe.

 

Un miracle offre de réfléchir entre autres sur :

✦ la ferveur populaire et ses dérives où ce qui est cartésien n’a guère sa place dès lors que tout le monde se presse d’interpréter un Je vois, papa❞ qui pourtant ne révèle ni qui ni quoi ;

 [cette] lutte sans vainqueur, deux paroles irréconciliables, la foi et le refus, l'élan vers l'invisible et l'ancrage dans le réel❞ 

✦ ce qui est dit des hommes prompts à se muer en Une meute, aboyant entre les tables, parlant du sacré alors qu'elle avait perdu toute humanité❞ ; 

✦ la rancoeur jalouse qui ronge les meilleurs au nombre desquels la finalement bien peu charitable Sœur Anne, déconfite au-delà du raisonnable de n’avoir pas été choisie par la Vierge.

 

Comme l’était Le Bal des folles avant lui, Un miracle est un roman lent porté par une écriture très apprêtée qu’alourdit un chapelet de virgules et d’anaphores. Est-ce pour rédimer une histoire  osons-le  assez creuse et banale que la fin se veut saisissante, prenant le risque de n’être pas du tout crédible en plus de donner l’impression que Victoria Mas, après avoir exagérément pris son temps, cherche comment poser au plus vite le point final ?

 

Douter de l’invraisemblable ne relèverait d’aucun mérite ? Soit. Mea culpa.


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