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Le Goût du Secret, Aude Cirier, Mercure de France

 

 

 

 

Le Goût du Secret

Textes choisis & présentés par Aude Cirier

 Le petit mercure de France, Coll. Le goût de

128 pages

08/09/2022

8,80 €

❝Un secret a toujours la forme d’une oreille.❞

Jean Cocteau, Le Rappel à l'ordre

 

Les secrets ont la forme que l’on veut bien leur donner, celle de l’oreille dont le creux les accueille y comprise. Ils sont protéiformes, changeants, presque toujours déroutants, aussi les attendons-nous là où ils ne sont pas, sont-ils là où nous ne les attendons pas.

 

Un Secret qu’on raconte —

Cesse — à ce moment même — d’être un Secret —

Un Secret — qu’on garde —

Ne terrifie — qu’Une seule personne —

 

Il vaut mieux — être continuellement effrayé —

Que de l’être —

Ainsi que la Personne à qui vous l’avez raconté —

Emily Dickinson, n° 643, in Poésies complètes, Flammarion, 2020, traduction de Françoise Delphy

 

Le poème d’Emily Dickinson sert d’épilogue à Le Goût du Secret, petite anthologie concoctée et présentée par Aude Cirier pour la collection Le goût de dirigée par Jean-Michel Décimo au Mercure de France, qui fête ses 25 ans. Petite, car les livres de la collection sont à pages comptées. 128. Pas une de plus, pas une de moins. Une contrainte qui force à une sélection tatillonne avec ses laissés-pour-compte plus ou moins facilement consentis. Ezra Pound ne disait-il pas que le critique se juge à ses sélections plutôt qu’à ses palabres ? Une gageure avec un tel sujet !

 

Le matériau documentaire, ici une trentaine de textes, est organisé en trois parties :

✦ Dans le secret du cœur, des âmes et des dieux ;

✦ Secret du pouvoir, pouvoir du secret ; 

✦ Garder, révéler, trahir : le poids du secret.

Chacune s’ouvre sur un exergue de Virginia Woolf, d’Alain Dewerpe et de Molière enfin.

 

Les textes sont de genres — théâtre, poésie, roman, traité, serment, fable — autant que d’origines géographiques et historiques variés — de l’Orient à l’Occident. Les auteurs contemporains (J. M. G. Le Clézio, Christian Bobin, Pascal Quignard...) côtoient les sources antiques (Plutarque, Ovide, Tacite...) ; les dramaturges et philosophes (Edmond Rostand, Voltaire, Sénèque...) fréquentent les poètes et fabulistes (Victor Hugo, La Fontaine, Supervielle...). Il y a donc un peu de tout, et chacun trouvera lecture à son goût dans ce riche recueil où, à mon vif regret, les autrices sont pire que minoritaires, accessoires. Pensez, elles sont même privées sans ménagement de 4e de couverture, les pauvrines que l’on range pêle-mêle sous le générique et bien d’autres… , les points de suspension en guise de strapontins. Les rares à être représentées ont toutefois l’avantage d’être peu connues du grand public et les lecteurs auront peut-être — j’en fais le voeu — la curiosité d’y aller voir de plus près. Marie de France ou Augustine Malvina Blanchecotte sont nos deux seules rescapées.

 

[...] quand on parle, il n'y a pas de retour en arrière, ce qui n'est pas le cas si on se tait. Ensuite, il ne tient qu'à soi d'ouvrir la porte secrète lorsqu'on le souhaite, ou de la forcer si elle résiste.

Enis Batur, La Maison aux livres, Éditions Zulma, 2022

 

Le secret a sa gestuelle propre et n’a jamais cessé d’alimenter nos fantasmes. Il est au cœur de notre imaginaire, depuis les contes que l’on nous raconte enfants. Il est la confidence qui se chuchote dans le clair-obscur d’une alcôve, la confession que l’on fait le coeur battant. Il est tapi entre les piles de draps dans nos armoires de famille. Il est celui que les enfants partagent pour sceller leur amitié, dans le creux d’une main et un demi-sourire. Il est un service très spécial dont les agents ont le permis de tuer. Il est professionnel ou médical. Quand il se dévoile, on crie parfois au scandale. On se moque de Polichinelle et de son secret de pacotille.

Le secret a un pouvoir immense. Il traverse les époques, toutes les épaisseurs de la société, les genres. Nourrit les conversations. Amuse. Échappe. Esquive. Jaillit. Défait les réputations. Consumme. Ronge. Voire pire.

  

Les textes choisis par Aude Cirier ont cela de bien qu’ils ne sont pas nécessairement extraits des oeuvres les plus marquantes de leurs auteurs dont certains font partie de la cohorte des illustres inconnus (vous connaissez, vous, Giovanni di Gherardo da Prato, juriste de la fin du Moyen-Âge ?). Chacun d’eux est accompagné de quelques mots introductifs et suivi d’un appareil critique succinct (la critique n’est pas l’objet du livre et n’oublions pas la limite des 128 pages) dont l’intérêt est d’offrir des références de livres à ceux qui trouveraient que tout cela est un peu trop court et voudraient prolonger le goût en bouche — Balzac, Freud, Char, Guitry, Malraux... là encore beaucoup d’hommes, hélas.

Le secret, son dévoilement, ses tourments, ses drames sont réunis dans ce piquant recueil que son format réduit (100 x 160 mm) invite à glisser dans la poche . Plaisant et instructif, sans être pesant.


꧁ Arrière-plan - ©Kristina Flour ꧂


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