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Les Orageuses, Marcia Burnier, Éditions Cambourakis

 

 

 

Les Orageuses

Marcia Burnier

Éditions Cambourakis, Coll.  Sorcières

144 pages

02/09/2020

15 €

Premier roman

 

«  Peut-être que parfois la vengeance vaut bien la justice, ajouta-t-il. »

Michael Connelly, Le Poète

« [Lucie] et les autres s’étaient vues sorcières, elles s’étaient vues magiques, elles n’étaient qu’une bande de filles ordinaires qui s’étaient réparées. »

 

Le premier roman de Marcia Burnier, Les Orageuses, a été publié à l’automne 2020 dans la collection Sorcières des éditions Cambourakis. Autant le confesser tout de suite — faute avouée… —, je n’étais pas vraiment emballée par le sujet, craignant un récit de plus sur les violences faites aux femmes. Que l’on ne se méprenne pas, la parole se libère depuis quelques années et c’est tout à fait salutaire, mais — parce qu’il y a un mais — je trouve que les histoires se multiplient et leur profusion, parce qu’elle l’émousse et la dilue, nuit à l'histoire personnelle de chacune de ces femmes. De même, par choix personnel, je ne lis pas ce genre-là de récits autobiographiques ; je n’aime pas entrer dans les entrailles des familles, même si je salue ce qu’il faut de courage pour oser briser le silence. 

 

Le roman de Marcia Burnier choisit, et c’est habile, un angle différent en s’intéressant à ces femmes — elles pourraient être vous, elles pourraient être moi — qui, après avoir été agressées, décident de mettre fin elles-mêmes à l’impunité des hommes dont certains savent ce qu'ils font, là où d'autres n’en ont même pas conscience. Pourtant quelles que soient les circonstances, un non est un non. La fiction, à mon sens, a cet avantage de permettre au lecteur de s’identifier aux personnages, de rendre le récit plus immersif et, partant, plus prenant et convaincant.

 

Ce récit dérange. Se posent évidemment plusieurs questions morales que ces jeunes trentenaires n’éludent pas : peut-on se faire justice soi-même ? Est-il sain de combattre la violence par la violence ? 

 

« Nina avait été la plus difficile à convaincre, elle avait peur que ça la rabaisse cette violence, elle crevait de trouille de ressembler à tous ces mecs. »

 

Lui donner un autre nom suffit-il à justifier la vengeance ?

 

« On dit pas vengeance, lui avait dit Mia, c’est pas la même chose, là on se répare, on se rend justice parce que personne d’autre n’est disposé à le faire. »

 

Quand l’assistance sociale piétine, quand la justice, une justice d'hommes, est en faillite, il reste à inventer d’autres solutions, car il est impossible de se rendre invisible indéfiniment, de vivre la peur au ventre, au littéral comme au figuré, et de ne jamais trouver ni le sommeil ni le repos. De là à prôner la loi du talion, « Œil pour œil, dent pour dent »… même s’il est clair que leurs expéditions punitives ne font que des dégâts matériels

 

« Elle voulait une vengeance qui laisse des traces, une vengeance chiante, pas juste des bleus qui disparaissent dans la semaine. »

 

et ne sont qu’un remède pour aller mieux. 

 

« Ce qu’elles voulaient, c’était des réparations, c’était se sentir moins vides, moins laissées-pour-compte. Elles avaient besoin de faire du bruit, de faire des vagues, que leur douleur retentisse quelque part. »

 

Ne nous y trompons pas, Les Orageuses ne fait pas l’apologie de la violence, car comme le dit Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal« Quand on lutte contre les monstres, il faut prendre garde à ne pas devenir un monstre soi-même. » D'ailleurs, les opérations rapides et efficaces que mène cette bande de filles contre les hommes qui les ont agressées ne sont pas ce que je choisis de retenir de ce texte. Mia, Lucie, Inès, Leo, Louise et Lila, à mon avis, valent mieux que cela.

 

« Elle prend le temps de bien les regarder toutes, sorcières mes sœurs, ces vengeresses, pétroleuses, prêtresses, toutes un peu abîmées mais qui ont réussi à se rafistoler comme elles pouvaient. Elle a une bouffée d'amour avant la violence et elle les regarde comme si elle regardait sa famille, Mia, Lila, Inès, Leo et Louise. »

 

Famille, le mot est lâché que, personnellement, je préfère à sororité. Mia, Lucie, Inès, Leo, Louise et Lila se sont reconnues, dans leurs blessures à panser, dans leurs espoirs à nourrir. Ensemble, elles sont plus fortes, se soutiennent pour faire face à la peur qui a fait son lit dans leur quotidien, et endurer la suspicion de personnes qu’elles croyaient proches, tel leur ami Flo. Grâce à leur bienveillance réciproque, elles reprennent peu à peu le contrôle de leur vie et le goût qui devrait toujours aller avec. Ensemble, elles taguent les murs de leurs agresseurs comme elles tatouent leur corps à elles, dessinant un avenir. Ensemble.

 

« Quand elle les avait revues, Mia avait trouvé la nuit plus claire, elle s’était dit qu’elles ensemble c’était comme un orage d’été, qui illumine un ciel trop lourdement chargé. »

 

Ce roman de peu de pages est vif, le ton, enlevé, les phrases courent sans prétention, enjambant prestement les virgules, nombreuses. Un a priori idiot m’a fait penser que j’y trouverais beaucoup de dialogues, or ils sont rares. À la réflexion, ils auraient freiné le dynamisme de la narration, en en cassant le flux que l’on pense inendiguable. Le texte a la vaillance de ses héroïnes, leur rage dans le combat et leur bienveillance dans l’amitié. 

 

« [Lucie] se tient droite, les épaules en arrière, la tête haute, les poings desserrés. […] Personne n’apprend aux filles le bonheur de la revanche, la joie des représailles bien faites, […] qu’on ne tend pas l’autre joue aux violeurs, que le pardon n’a rien à voir avec la guérison. »

 

Faire que la peur se lise dans d’autres yeux, avant de se redresser pour porter le regard loin devant soi. Si possible avec confiance.

Pour ceux qui l’ont lu, Confessions d'un gang de filles de Joyce Carol Oates (Stock, La Cosmopolite, 1995, traduction de Michèle Lévy-Bram) viendra à l’esprit. Immanquablement. Les Orageuses n’en a pas la sauvagerie. Le propos de Marcia Burnier est ailleurs, car en exposant les fêlures de ces jeunes femmes, elle s’interdit d’en faire des petites dures bravaches. Non, elles ne sont pas dures, Mia, Lucie, Inès, Leo, Lila et Louise ; elles n’ont plus l’innocence ni les excès adolescents de Maddy, Goldie, Lana, Rita et Legs au temps de leurs équipées sauvages et musclées.

Marcia Burnier a sans conteste une écriture incisive et brute, et son roman, comme souvent avec les premiers, porte déjà en lui le germe de fictions futures.


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