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Cent millions d'années et un jour, Jean-Baptiste Andrea, L'Iconoclaste

 

 

 

 

Cent million d'années et un jour

Jean-Baptiste Andrea

L'Iconoclaste

320 pages

21/08/2019

18 €

Folio n° 6960, 19/08/2021

« Il est indispensable de rêver : on respire mieux ! 

Le rêve est l’oxygène de l’esprit, il en renouvelle l’espace. »

 Pierre Teilhard de Chardin, La place de l’homme dans la nature

 « Si nous ne sommes pas capables de croire à une histoire juste parce qu'elle est belle, à quoi bon faire ce métier ? »

 

Comme l’était Ma reine, son premier né paru en août 2017, le 2e roman de Jean-Baptiste Andrea est un conte, ici celui d’un rêve et d’une quête, toujours publié chez L’iconoclaste.

 

Écoutez… 

Il y a fort longtemps, entre France et Italie, au pied d’un glacier du massif du Mercantour, un concierge alors jeune, mais aujourd’hui décédé, aurait découvert le squelette d’un dragon… 

 

...vous y croyez, vous ?

Stan, paléontologue de 52 ans, oui. 

Sur des informations aussi minces, il met sur pied une expédition aussi insensée que l’histoire qu’il vient d’entendre, parce que « partir, c’est déjà réussir. »

 

Partir en quête d’un rêve, c’est se délester d’une enfance malheureuse et solitaire, où déjà l’enfant sondait les versants de ses Pires Aînés natales à la recherche de trilobites et autres fossiles.

 

« Moi ce que j’aime, c’est le vivant. Même s’il est mort depuis cent millions d’années. »

 

Partir en quête d’un rêve, c’est renouer avec Umberto, géant sculpté dans la pierre, aux gestes pourtant souples et aériens, un homme qui « pèse à peine sur notre monde », vieil ami du temps des études devenu à son tour professore de l’autre côté des Alpes :

 

« Mon ami n’a pas changé : même costume de velours sur les mêmes chaussures de randonnée […] Personne ne ressemble autant à un paysage - ses Dolomites natales. Umberto est une falaise penchée sur le monde, un amas de couches géologiques qui bougent avec une lenteur de continent. »

 

Partir en quête d’un rêve, c’est confier sa sécurité à Gio, guide de haute montagne taiseux et sage, à l’expérience sûre et si peu tapageuse qu’on la croit innée, Gio à jamais meurtri par la mort en montagne de son fils Carlo, guide comme lui.

 

« L'automne rôde aux portes du plateau. Gio l'a senti. Il sait que la saison a reniflé notre présence, elle aussi. Je crois à mon tour percevoir son souffle, un filament neigeux dans la texture de l'été, qui nous effleure et qui nous jauge. Le compte à rebours a commencé. »

 

Partir en quête d’un rêve, c’est avoir conscience du danger qui ne se laisse pas facilement apprivoiser et s’y risquer quand même :

 

« Cette vallée est une blessure dans la montagne, vendetta éternelle entre la pierre et l’eau. Elle sent l’église, un parfum de vent dans les clochers, de bronze terni, de croix couchées dans l’herbe. On s’attend au silence mais son rugissement perpétuel fatigue l’oreille : celui du torrent qui coule au fond, dans une verdeur de menthe où s’enfoncent les marches étourdies de mousse. Il faudrait être fou pour s’y risquer. »

 

Partir en quête d’un rêve, c’est aussi (surtout ?) aller à la (re)découverte de soi quand, comme Stan, on est trop longtemps resté confiné dans un bureau en sous-sol, terne et poussiéreux. C’est être suffisamment lucide et honnête pour se livrer par petites touches, dans le creux des mots et des souvenirs, et reconnaître que :

 

« Je suis parfois maladroit. Blessant, bourru, bête même. Réservé, froid, méfiant. Empoté et désespérant. Mais je ne suis pas un mauvais bougre. J’ai la gentillesse ébouriffée des abeilles, je pique parfois sans m’en rendre compte la main qui m’approche, parce que je crois par habitude qu’elle va m’écraser. J’aimerais que vous le sachiez. »

 

Partir en quête d’un rêve, c’est être assez clairvoyant pour se savoir fou

 

« […] à cet instant charnière de la vie d’un homme, le point du fou, celui où plus personne ne croit en lui. Il peut reculer, une décision dont tout le monde, sans exception, louera la sagesse. Ou aller de l’avant, au nom de ses convictions. S’il a tort, il deviendra synonyme d’arrogance et d’aveuglement. Il sera à jamais celui qui n’a pas su s’arrêter. S’il a raison, on chantera son génie et son entêtement face à l’adversité. C’est l’heure grave de ne plus croire en rien, ou de croire en tout. »

 

Cent millions d’années et un jour est écrit à la 1re personne et il ne pouvait en être autrement pour raconter cette aventure humaine en milieux hostiles — la montagne et un huis-clos entre hommes —, pour aller fouisser dans le passé comme on creuse le sol et mettre au jour les souvenirs enfouis, ici ces quelques minutes seul avec sa mère dans un cinéma, là l’arme qui s’enraye et épargne le père, ici le chien bleu tant aimé qui disparaît, là les coups qui pleuvent, pour se présenter au monde comme un homme avec encore des fragilités d’enfant.

 

« J'ai voulu dire quelque chose, partager les miennes, de cicatrices. Lui avouer qu'à 52 ans, je cousais encore mon nom au revers de mes pulls parce que ma mère m'avait expliqué que, comme ça, elle me retrouverait toujours. »

 

Cent millions d’années et un jour est un récit riche, avec un double-fond métaphorique. Un conte où la poésie se niche au creux des phrases les plus simples, belles dans l’épure. 

 

« Qui dit que les montagnes n'ont pas de sentiments, elles qui rougissent au lever du soleil ? »

 

Beauté de la montagne à laquelle répond la grâce de la voix de Stan, à moins que ce ne soit l’inverse. Une voix qui laisse volontairement des blancs, tant il n’est pas nécessaire de tout dire. L’aventure est âpre et périlleuse, jalonnée d’obstacles, ourdie de drames qui, s'ils le freinent, n’arrêtent pourtant pas l’élan, le vrai, celui, sans concession face à l’adversité, auquel Stan ne peut résister quand bien même il sait qu’il finira par :

 

« [pleurer] enfin sur l’immense gâchis dont je suis responsable, sur le gamin que le glacier a pris, sur l’amitié que la montagne a usée, sur ces foutues cordes et mes mains incapables, sur la folie aussi, la folie qui m’a saisi et dont les raisons importent peu. J’ai voulu croire à un conte. »

 

Quatre parties, quatre saisons. 

On avance dans ce roman, membre à part entière de l’équipe, de l’aventure, de cette chasse au trésor belle jusque dans sa folie, transportés par un auteur qui, par une écriture très visuelle sans tomber dans les descriptions oiseuses, fait plus que confirmer son incroyable talent pour nous embarquer dans ces lieux « où résonne la présence du diable ».

 

« Non, on devient paléontologue parce qu’on aime les histoires. 

Pour en raconter, à soi et aux autres.

J’ai vraiment cru que celle-ci méritait de l’être. »

 

 Oui, Jean-Baptiste, elle le méritait.

 

Ce roman a reçu le Prix des lecteurs de la librairie Privat 2020.


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