Un dialogue ce n'est pas des mots, c'est un sens.
Un dialogue doit dire quelque chose qui est l'action, qui est la raison pour laquelle le dialogue est dit.
René Clément
Qu’est-ce que le dialogue romanesque ? Se contente-t-il d'être dialogue ou est-il aussi moyen de faire passer des informations ? Le dialogue est un moment d’observation, un moment où l'auteur laisse libre cours à l’invention, où il guette les réactions de ses personnages en se demandant comment ils vont agir. Le dialogue crée une attente, une tension.
Quand les personnages ne pensent pas, n'agissent pas, n'observent pas, ils parlent.
On croit — à tort — qu’écrire un dialogue est facile, alors que c'est tout le contraire. C'est parce qu'un dialogue se rédige en langage parlé, doit paraître toujours naturel, que son écriture est très délicate.
Cependant, on ferait fausse route en pensant que les meilleurs dialogues sont fatalement les plus travaillés. Les dialogues qui font mouche sont ceux qui trouvent naturellement leur place dans la narration, sans rappeler au lecteur que, oui, il est bien en train de lire... un dialogue.
Il s'agit rien de moins que de transformer la langue parlée en une composante harmonieuse de la langue écrite.
Dans l'écriture romanesque en général, tout ce qui ne fait pas avancer l’intrigue doit être coupé sans pitié et les dialogues ne font pas exception. Un dialogue creux, même s’il sonne juste, fera bâiller le lecteur. Un bon dialogue donne l’impression d’avoir lieu dans la réalité, après avoir été épuré des quelques parasites que sont les longues hésitations, les onomatopées, les convenus « Bonsoir », « Bonjour », « Ça va ? » et j'en passe...
N'écrivez pas de dialogue d'exposition
Un dialogue n’a pas pour but de donner des informations au lecteur, de le tenir informé du contexte. Un dialogue doit venir dans le récit au même moment où il serait venu dans la vraie vie.
Écrivez sans réfléchir
Il ne faut surtout pas chercher à écrire le dialogue parfait dès le premier jet. Bien au contraire. Jetez les mots sur la feuille spontanément, ne vous censurez pas, car il n’y a pas meilleure manière de laisser libre cours à votre créativité et d'avoir la bonne surprise de voir peut-être surgir des trouvailles qui ne seraient pas venues autrement.
Le dialogue offre cette grande facilité de pouvoir être réécrit plusieurs fois jusqu’à ce qu’il sonne parfaitement juste.
Mesurez le temps de parole de chacun et incarnez votre dialogue
Qu’est-ce qu’un dialogue, sinon une conversation entre deux ou plusieurs personnes ?
Alors, pour trouver le bon ton, incarnez chacun de vos personnages et dites leurs répliques à haute voix. Vous aurez ainsi le recul nécessaire pour rendre les dialogues naturels, vrais et surtout justes, vous éviterez aussi le piège des virelangues et autres trompe-oreilles. Cette méthode vous aidera aussi à trouver les bonnes phrases introductives, les incises (et surtout les verbes d’incises), car vous appréhenderez mieux l’état d’esprit de vos personnages.
Rien n'est plus agaçant pour un lecteur que d'être incapable de mettre une voix sur une réplique. Plus vos personnages seront caractérisés, au moyen de tics, de tournures, d’un vocabulaire uniques, moins il subsistera de doutes au sujet du locuteur, et par cascade, moins vous aurez à préciser les modalités de la réplique. Rien de pire que des personnages interchangeables dans un dialogue (ou ailleurs).
De plus, il est rare que quelqu’un parle tout seul cinq minutes durant sans que son interlocuteur ne vienne l’interrompe pour exprimer son point de vue. Si tel est le cas, c’est probablement que votre personnage parle tout seul, que personne ne l’écoute ou que vous vous êtes laissé aller à une frénésie logorrhéique, un déferlement impérieux que rien ne peut endiguer.
Un dialogue doit être fait d’interruptions, d’incompréhensions, de flottements qui, loin de le parasiter, l'étayent. Mieux vaut donc éviter les répliques trop longues qui prennent des airs de tirades théâtrales et perdent le lecteur. Une longue envolée peut être morcelée, agrémentée de détails narratifs qui empêchent le lecteur de sortir du cadre.
N'allez pas en déduire pour autant que les personnages doivent avoir exactement le même temps de parole, bien au contraire. C'est là aussi que s'exprime leur personnalité. Un personnage timide, effacé prendra naturellement beaucoup moins la parole qu’un personnage extraverti qui monopolisera la conversation, interrompra sans cesse les autres, allant parfois jusqu’à leur confisquer la possibilité de s'exprimer. Gardez à l’esprit que le temps de parole est aussi un facteur qui sert à révéler des éléments de la personnalité de vos personnages et des rapports qu’ils entretiennent.
Tordez le cou aux évidences
L’une des erreurs les plus fréquentes est d’écrire de façon trop conventionnelle, d’écrire un dialogue où chaque réplique fait écho à la précédente en lui apportant une réponse. Alors, allégez vos dialogues, soyez sans pitié et coupez, coupez, coupez encore pour ne conserver que ce qui est absolument indispensable, créez une dynamique en supprimant des répliques trop convenues. Soyez mesuré et n'allez pas jusqu’à supprimer toutes les réponses directes, les incises, ou encore les phrases introductives.
N'oubliez pas que les personnages sont vos marionnettes et c'est ce qui les différencie des acteurs qui aiment à s'approprier le texte. Vos personnages, eux, n'ont aucune autonomie, ils ne feront rien sans que vous les y invitiez. Libre à vous de leur prescrire tel geste, telle intonation qui lancera le dialogue. La phrase introductive peut paraître insignifiante c'est pourtant à elle que revient le mérite d’offrir une transition en douceur entre la narration et la conversation, tout en ne laissant aucun doute quant au personnage qui prend la parole en premier. Cette alternative à l'incise gagne toujours à être amputée de la partie qui annonce le dialogue, les deux-points font seuls l'affaire.
Ainsi, il sera assez d'écrire
Le vieil homme se racla la gorge :
à la place de
Le vieil homme se racla la gorge avant de lui répondre :
Accueillez les silences
Même lorsqu'ils ne se parlaient pas, c'était comme un dialogue sans mots.
Guillaume Musso, Sauve-moi
Nous vivions de silences heureux et de phrases inachevées, comme si nous avions, d’un même mouvement, confié le vrai dialogue à nos corps.
Françoise Sagan, Un Profil perdu
Ne rien dire est parfois la meilleure réponse qui soit. En ne répondant rien à son interlocuteur, un personnage peut en révéler beaucoup, et en tous cas bien plus qu’on imagine, sur son état d’esprit ou ses sentiments. Un regard, une attitude, un geste valent en général mieux que de longs discours.
Oui, on peut suggérer beaucoup en ne disant rien, mais aussi en disant le contraire de ce qu’on pense. Vos personnages peuvent mentir, changer de sujet, ne pas écouter leur interlocuteur, comprendre de travers, ne pas oser répondre tout de suite, ne pas être d’accord, etc. Ça n’empêche pas l’information d’être comprise par le lecteur, bien au contraire.
Un dialogue n’est jamais une succession de questions/réponses qui s’enchaînent platement, plus ou moins opportunément. C’est une occasion de donner vie à vos personnages, de les rendre réels aux yeux du lecteur afin qu’il les comprenne mieux.
Choisissez votre vocabulaire
Réfléchissez à la manière dont parlent vos personnages.
Tous ne doivent pas parler de la même façon, car leur langage leur est propre et donne un certain éclairage (âge, appartenance sociale, etc.) Certains de vos personnages peuvent avoir des expressions favorites, des tics de langage.
Le principal écueil est de pécher par excès de zèle. Un dialogue écrit dans un français trop académique, très à cheval sur la concordance des temps, sur l'emploi des négations, etc. manque d'authenticité. Écoutez les gens autour de vous et vous remarquerez qu'à moins d'être devant un auditoire particulier, ils font peu d'effort pour soigner leur expression. Sauf à les ancrer dans un certain milieu, une certaine époque, bien sûr.
Offrez un décor à votre dialogue
À force de travailler chaque réplique, on en oublie le contexte et dans certains romans, on a parfois l’impression que les personnages sont figés, discutent au milieu de nulle part, sans décor ni action. Il faut donner un contexte au dialogue, pour que le lecteur puisse visualiser les personnages en train de s’exprimer. Surtout si le dialogue est long, donnez quelque chose à faire à vos personnages pendant qu’ils discutent.
Donner un contexte au dialogue a aussi le mérite de fournir des informations sur les personnages. Votre personnage est-il un médecin à son cabinet ? un agriculteur occupé aux moissons ? un écrivain à son bureau ? un peintre en train de chercher le meilleur endroit où poser son chevalet ? un enfant jouant dans la cour de son immeuble ? Tous ces détails sont autant d'indications qui permettront au lecteur de visualiser votre scène et vos personnages dans ce qui fait leur quotidien. C’est aussi un moyen de donner, en douce, des informations sur qui est en train de parler.
Cela peut sembler accessoire et pourtant ces petits riens évitent bien souvent la lourdeur d’une incise, tout en donnant un cadre au dialogue.
Ne bridez pas votre imagination, car elle n'a pas de limite en ce qui concerne les actions qui permettront de s'imaginer vos personnages pendant qu’ils discutent. Essayez de penser à une action qui révélera quelque chose sur eux et qui aura un sens pour eux.
Variez vos incises
L'incise est ce petit bout de texte pouvant allant du très laconique dit-il à quelque chose de bien plus longuet qui fait alors que l'incise prend le relais de la narration. Ajoutons à cela que l’inversion du sujet et verbe propre à l’incise induit une syntaxe lourdaude et il semble dès lors inconsidéré d'y avoir recours outre mesure.
Non, dire, répondre, demander ne sont pas les seuls verbes possibles ! Il en existe tout un éventail à utiliser en fonction de ce que vous voulez faire transparaître dans votre dialogue, de la couleur que vous voulez lui donner, de ce que vous voulez suggérer de l'attitude de vos personnages. Je propose une liste non exhaustive de ces verbes-là dans le billet Les verbes introducteurs dans le dialogue.
Une technique consistera à n'insérer le verbe d'incise qu'une fois la réplique entièrement rédigée. Le verbe apportera alors une note supplémentaire, une nuance certes, mais subsidiaire. Une autre visera à attirer l'attention sur l'incise par effet de rareté, aiguisant l'oeil du lecteur. Trop d'incises tuent l'incise... et le dialogue.
Le Grevisse précise que le verbe de l’incise peut n’avoir aucun lien syntaxique avec la réplique, à condition qu’à ce verbe se superpose l’idée de dire. Alors, ne cédez pas à la facilité !
Et parce qu'il faut bien conclure, sachez qu'au lieu de créer un dialogue aux répliques trop attendues, mieux vaut reprendre la narration et abandonner un instant ce dialogue pour le reprendre plus loin.
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