Et d’ailleurs, qu’est-ce que l’avis éditorial ?
Il est légitime que l’auteur se pose la question et veuille savoir à quoi s’attendre avant de donner son roman à lire à un conseiller éditorial.
Je commencerai par dire ce que l’avis éditorial n’est pas.
Il n’est pas un avis personnel, une analyse subjective d’un récit. Bien au contraire, c’est un avis argumenté, qui s’attache à étudier les caractéristiques purement techniques de l’ouvrage. Ceux qui ont lu mon billet Pourquoi payer pour une bêta-lecture ? ont sûrement une petite idée de ce qui va suivre. Cependant, loin d’être une redite de mon précédent article, ce billet-ci se limitera à un inventaire - plus exhaustif certes, mais non commenté - de quelque dix points tenus pour essentiels au récit, abordés sous forme de questions, questions auxquelles un conseiller littéraire va devoir répondre avant de rédiger la fiche de lecture qu’il remettra à l’auteur.
Un conflit ?
Le thème de tout roman, c'est le conflit d'un personnage romanesque avec des choses et des hommes qu'il découvre en perspective à mesure qu'il avance, qu'il connaît d'abord mal, et qu'il ne comprend jamais tout à fait.
Alain
- Un conflit est-il à l’origine de votre récit ? Ce conflit est-il interne ou externe à l’histoire ?
- Votre incipit donne-t-il à voir un conflit qui s’étire pour occuper la totalité du récit ?
- Est-ce ce conflit qui fait progresser l’action et votre personnage ?
- Votre personnage principal est-il empêtré dans un conflit externe au récit ?
- Ces conflits – externes aussi bien qu’internes – sont-ils trop nombreux ? trop rares ?
- Avez-vous conçu le conflit de telle sorte qu’il atteint son paroxysme avant de se trouver résolu à la fin ?
- Votre personnage principal doit-il faire face à des obstacles de plus en plus difficiles à surmonter, le suivant étant toujours pire que le précédent ? A-t-il des décisions risquées à prendre ?
- Ce conflit sert-il l’histoire ou n’est-il là que pour créer une vaine agitation ?
L'intrigue ?
Si j'avais plus d'imagination, j'affabulerais des intrigues.
André Gide
- L’intrigue est-elle intelligible, compréhensible ?
- Le but que le personnage poursuit est-il donné dès le début et trouve-t-il sa résolution à la fin, de manière satisfaisante ?
- Y a-t-il des intrigues secondaires qui trouvent aussi leur résolution à la fin ?
- Le décor spatial/temporel fait-il l’objet d’une description constante et cohérente ?
- Est-il facile d’appréhender le passage du temps d’une scène à l’autre ? est-il cohérent ?
- Les scènes s’enchaînent-elles de manière suffisamment cohérente pour faire avancer l’intrigue ?
- Y a–t-il des scènes qui ne servent pas l’intrigue et paraissent ne pas avoir de but ?
- L’intrigue est-elle intéressante, séduisante ? Fait-elle appel à des thèmes en rapport avec des questions universelles susceptibles de capter l’attention de nombreux lecteurs ?
Le rythme ?
L'écriture, par le rythme d'une voix, le mouvement d'une phrase, calme la conscience ordinaire et réveille une conscience du dessous, plus fine, à vif : l'écrivain est à la fois anesthésiste et chirurgien. Il endort l'âme avant de l'ouvrir.
Christian Bobin
- Comment est le rythme général du récit ? Marque-t-il le pas à certains moments à cause de trop nombreux, trop longs passages narratifs, de scènes dont l’intérêt n’est pas avéré ?
- L’écriture est-elle trop phraseuse, trop vague, ralentit-elle la progression du récit ?
- Les phrases sont-elles trop longues ou répétitives ? trop courtes et sans apparente coordination logique ?
- Les scènes s’enchainent-elles de manière à garder l’intérêt du lecteur ? Certaines méritent-elles d’être supprimées ?
- Le rythme de l’écriture suit-il celui de l’action ? Dans les scènes d’action, les phrases se font-elles plus courtes ? dans les descriptions, plus longues ?
La tension ?
Si un auteur est généralement un petit peu moins bien que son livre, c'est que, au moment où il l'écrivait, il était plus complet. Il avait convoqué son moi idéal, ses talents, ses ruses, ses élans, il affrontait des obstacles dont les héros de romans courtois n'ont pas idée. Il s'élevait. Revenu à terre, il prend un repos nécessaire, car personne ne pourrait supporter ces tensions en permanence, envoyant tout ce personnel en vacances, et se retrouve seul, avec un air de vieux maître d'hôtel fourbu dans un château abandonné.
Charles Dantzig
- La tension est-elle mise en place dès le début du livre ?
- Le protagoniste est-il suffisamment convaincant pour éveiller l’empathie du lecteur ?
- Certaines scènes sont-elles laissées habilement en suspens pour accroître la tension ?
- Y a-t-il des éléments, des indices, des détails placés ici ou là, judicieusement, afin que le lecteur ne lâche pas le livre ?
Les décors ?
- Le décor est-il décrit de manière plausible et intéressante ? Le lecteur peut-il facilement s’y immerger ?
- Le décor est-il en adéquation avec l’ambiance générale ? Sert-il l’intrigue ?
- Y a-t-il trop ou trop peu de lieux ?
- Certains lieux sont-ils un mauvais choix compte tenu du sujet abordé ?
- L’auteur passe-t-il trop ou trop peu de temps à planter le décor ?
- Le décor est-il donné à voir à travers les yeux des personnages ou fait-il uniquement l’objet d’une description insipide et sans relief ?
Les différents points de vue ?
C'est drôle comme les choses peuvent changer d'aspect, parfois, lorsqu'on les regarde d'un point de vue différent de celui sous lequel on les a toujours connues.
Michel Tremblay
- Les points de vue sont-ils cohérents ?
- N’y a-t-il qu’un seul point de vue dans chaque scène ? Dans le cas de plusieurs points de vue, entrent-ils en résonnance, créant ainsi un effet de voix qui se répondent ?
- Dans le cas où il existe plusieurs points de vue dans le roman, certaines scènes mériteraient-elles d’être écrites selon un autre point de vue ?
- L’auteur a-t-il tendance à dire plutôt que montrer ce que pensent ou ressentent les personnages ?
La voix ?
Un grand auteur est celui dont on entend et reconnaît la voix dès qu'on ouvre l'un de ses livres. Il a réussi à fondre la parole et l'écriture.
Michel Tournier
- L’écriture est-elle originale ?
- Est-ce que le ton et le style d’écriture s’accordent à l’histoire ?
- La voix de l’auteur est-elle perceptible, paraît-elle authentique ?
- Y a-t-il trop de clichés ?
- L’auteur veut-il impressionner ses lecteurs en usant (voire abusant) de termes abscons, de phrases apprêtées ?
Les personnages ?
Il n'y a pas de mauvais personnages, il n'y a que des mauvais scénaristes.
Alan Moore
- Le personnage principal est-il convenablement décrit ?
- Force-t-il la sympathie dès le début du récit ?
- Les autres personnages sont-ils méticuleusement développés ? L’auteur s’est-il contenté de les calquer sur des stéréotypes ?
- Les personnages agissent-ils, parlent-ils de manière cohérente avec ce que l’on sait de leur origine, de leur éducation, etc. ?
- Chaque personnage a-t-il un passé clairement mis en évidence dans l'histoire ?
- Les personnages secondaires servent-ils l’histoire ? ou bien ne sont-ils là que pour occuper le décor ?
- Les descriptions de personnages sont-elles trop ou trop peu nombreuses ? Sont-ils décrits à travers les yeux des autres personnages de l’histoire ou, plus prosaïquement, par l’auteur ?
- Les personnages secondaires sont-ils trop nombreux, l’auteur leur consacre-t-il trop de temps, faisant que le lecteur délaisse le personnage principal et en oublie l’intrigue ?
- Le personnage principal évolue-t-il de manière à ce que le lecteur perçoive distinctement son cheminement intérieur : de la situation initiale, aux changements, aux décisions prises, et enfin à la résolution ?
Les dialogues ?
C’est où le personnage va parler que l’auteur doit cesser d’écrire.
Jean-Baptiste Louvet de Couvray
- La manière dont les personnages s'expriment est-elle en adéquation avec leur personnalité ?
- Y a-t-il trop ou trop peu de dialogues ?
- Les dialogues sont-ils intéressants ? apportent-ils des informations importantes et pertinentes ? À l’inverse, ne sont-ils que du verbiage ?
- Certains dialogues ne sont-ils là que pour noircir le papier ?
- Les dialogues sonnent-ils bien à l’oreille ?
- Certains dialogues véhiculent-ils des informations capitales que le lecteur ne peut pas retrouver dans les passages narratifs ?
L'impression générale ?
En littérature, la première impression est la plus forte.
Eugène Delacroix
- Est-ce que le livre est engageant au regard de son incipit ? Est-il cohérent au regard de son chapitre final ?
- Le thème abordé est-il suffisamment universel pour retenir l’attention des lecteurs ?
- L’idée est-elle abordée, puis traitée, de manière suffisamment originale ?
- Le livre paraît-il trop court ou trop long au regard du thème choisi ? Certaines scènes attendues manquent-elles ?
- L’objet du livre est-il clair ? Le titre est-il trompeur ? La 4e de couverture joue-t-elle son rôle ?
- Les intrigues – principale et secondaires – trouvent-elles leur résolution de manière satisfaisante ? Le lecteur a-t-il un sentiment d’incomplétude ? La fin est-elle confuse ?
- Le livre est-il en adéquation avec son lectorat cible ?
Cette liste brute n’a pas d’autre ambition que de permettre à l’auteur de faire un premier travail de réflexion sur son premier jet. Elle laisse aussi entrevoir quel travail le conseiller éditorial a à accomplir avant de donner son avis motivé.
Autant il est compréhensible qu'un auteur ait hâte de recevoir la fiche de lecture, autant il est inconcevable qu'un retour lui soit fait dans un délai très court vu le travail d'analyse critique attendu.
Patience, donc !
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